Labourage et pâturage, les deux «gamelles» de la France
Objet: Article - les echos
Sabine Delanglade / Editorialiste | Le 27/01 à 16:35
Depuis 2007, l’Allemagne exporte davantage de produits agricoles que la France.
Après la France sans usines, la France sans champs ? Alors que le débat se focalise sur la désindustrialisation de notre pays, le choc de compétitivité menace aussi nos campagnes. Pour le plus grand profit de l’Allemagne
Parfois la terre ment ! La moitié des asperges consommées dans l’Hexagone est allemande. Les abattoirs bretons s’effondrent les uns après les autres. Après la France sans usines, la France sans champs ? Bonne terre, bon climat, agriculteurs bien formés, passé prestigieux, celle-ci aurait pourtant dû être une agriculture de Cocagne. Dans l’esprit des pères de l’Europe, il était d’ailleurs clair que si l’Allemagne continuerait à dominer l’industrie, la PAC serait francophile.
Hélas, le ver s’est installé assez vite dans le fruit avec les fameux montants compensatoires. Ceux-ci ont rapidement joué comme des subventions en faveur des pays à monnaie forte, l’Allemagne en faisait partie, pas la cigale française. La réunification et l’apport des immenses domaines de milliers d’hectares de l’Est ont fait le reste. Le choc de compétitivité a éclaté au grand jour en 2007 : pour la première fois cette année-là les exportations allemandes de produits agricoles ont dépassé les françaises. Bien sûr, la France est encore excédentaire et l’Allemagne encore déficitaire, mais pendant que celle-ci continue à progresser, la France a déjà divisé son excédent par deux. Depuis 2000, la production de volailles a augmenté de 700.000 tonnes (+ 50 %) en Allemagne et baissé de 400.000 tonnes en France (– 16 %). Jadis deuxième exportateur mondial, la France peine désormais au quatrième rang. Humiliation suprême, elle produit et exporte moins de lait et de fromages que l’Allemagne. Celle-ci est devenue exportatrice de porc quand elle en importait plus d’un million de tonnes avant 2000.
« En dix ans, la dégradation de nos positions a été spectaculaire », s’alarme l’économiste Elie Cohen dans «?Le décrochage industriel?». La revue «Démeter», qui consacre un dossier très complet à l’agriculture allemande, s’interroge sur « une dynamique aussi irrésistible que celle de la Mannschaft ». Bref, l’Allemagne contrôle désormais à la fois les usines et les champs.
Les réformes Schroeder n’ont visiblement pas dopé que l’industrie automobile. En libéralisant le marché du travail, elles ont donné aux exploitations agricoles et à l’industrie agro-alimentaire l’accès à une main d’œuvre bon marché. Non seulement le secteur n’avait pas jusque-là de salaire minimum, mais les portes sont grandes ouvertes aux travailleurs de l’Est auxquels sont appliqués les taux de prestations sociales de leurs pays d’origine (par exemple 20 % en Bulgarie contre 39,4 % en Allemagne). Dans des secteurs comme les fruits et légumes ou l’industrie de la viande où le travail peut représenter 60 % des coûts de production, c’est mortel : « Quand on perd 30 % d’une production de fruits et légumes, un pan entier d’activité s’écroule », se désole Xavier Beulin, le patron de la FNSEA.
Odile Benyahia-Kouider, dans « L’Allemagne paiera », décrit «?le paradis des fraises?». C’est à Rostock, ex-RDA, la saison y dure cinq mois, pendant lesquels 80 cueilleuses venues d’Ukraine ou de Pologne se penchent pour ramasser chacune par jour jusqu’à 200 kilos de fruits cultivés à l’abri d’immenses tunnels. Elles sont payées de 5 à 6 euros de l’heure, deux fois moins qu’en France. Pendant ce temps, en septembre, des légumiers en colère incendiaient le centre des impôts de Morlaix... En quinze ans, la production germanique a bondi de 64 % pour les fraises et la française chuté de 40 %. Le porc aussi s’est engraissé. La taille du groupe Tönnies Fleisch a été multipliée par huit en dix ans. Des découpeurs et désosseurs venus de l’Est, employés dans le plus grand abattoir d’Europe, y tranchent 28.000 porcs par jour, expédiés par trains entiers vers les ports de Brème ou de Hambourg. En treize jours, il assure la production annuelle de l’abattoir normand en redressement judiciaire AIM.
Or, la taille fait beaucoup à l’affaire, celle des outils industriels de transformation comme des exploitations. Le promoteur de la ferme dite des « Mille Vaches » (qui ne sont que 500), Michel Ramery, un fils d’agriculteurs, après avoir fait fortune dans les travaux publics, voulait bâtir une ferme modèle. Les déchets sont recyclés, le volume permet de se répartir le travail à plusieurs et d’éviter que les agriculteurs soient vissés à leur installation, ce que les jeunes ne veulent plus. Confédération paysanne, Verts, Front de gauche, habitants du coin, tous lui sont tombés dessus, « démontage » et 150.000 euros de dégâts à la clef. « S’ils veulent survivre, les petits éleveurs locaux qui perdent déjà de l’argent seront demain obligés d’aller pointer à l’usine à vaches », caricature un habitant. En Allemagne et en Pologne, les troupeaux de 1.000 à 3.000 bêtes sont courants, certains américains vont jusqu’à plus de 40.000. Ceci explique cela.
Notre pays a tout autant de mal à accepter la réforme de son agriculture que du reste de son économie. Les paysans se sentent constamment mis en joue, leur malaise est réel. Sans oublier le choc de la complexité. Xavier Beulin évoque la France «?championne du monde » des normes, des délais ou des procédures. Toutes ces opérations sont facilitées en Allemagne. A Toulouse, un manifestant de «?Journée contre les normes » se plaignait : « Nous sommes sur-administrés, bientôt je vais commencer ma journée de travail à 14 heures avant de pouvoir rentrer dans le champ, tant il est compliqué de respecter les normes administratives et environnementales. »
Pendant que des contrôleurs zélés vérifient la largeur exacte des bandes de terres cultivables, non seulement nous profitons peu de la croissance de la demande mondiale, mais nous perdons aussi des parts de marché.
Sabine Delanglade
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